Hic sunt dracones
Philippe Méda commence toujours ses formations sur l'innovation par cette image…
Au delà des territoires et des océans déjà explorés, les cartes indiquaient Hic sunt dracones, "Ici sont des dragons". Il nous semble essentiel d'aller explorer ces zones inconnues, d'aller à la rencontre des dragons, de prendre des risques pour changer de mobilités, de changer de véhicules et d'inventer de nouvelles industries ni plus ni moins.
Si vous pensez qu'il suffit de robotiser ou d'électrifier l'automobile telle que nous la connaissons, vous pouvez arrêter votre lecture et reprendre une activité normale. Si au contraire, vous pensez que vos compétences en mécanique, design, électronique, production additive ou composites ne sont pas utilisées pour faire les bons produits, alors vous êtes au bon endroit :-)
Pourquoi un challenge ?
En 2004, le DARPA lance un challenge sur la voiture autonome. Les règles sont simples avec 1 M$ si votre véhicule :
- se déplace de manière autonome et parcourt le circuit en moins de 10 heures
- utilise le système de positionnement GPS et d'autres signaux disponibles pour les civils
- fonctionne de manière entièrement autonome, sans recevoir aucune commande lors de son parcours
- ne doit en aucun cas toucher de manière intentionnelle un autre véhicule de la compétition
Stéphane Schultz décrypte l'intérêt de ce challenge : "Mais que sont venus faire des entrepreneurs talentueux et des universitaires brillants dans cette galère ? Apprendre. Apprendre en faisant, en testant et se confrontant le plus tôt possible au réel. Plutôt que de valider des hypothèses théoriques dans leurs laboratoires, ils choisirent de mettre un véhicule sur la route au plus vite […] Le mouvement est lancé. En 3 ans et autant de challenges, la DARPA a mis le pied à l'étrier à l'une des plus fantastiques communautés d'inventeurs depuis la conquête spatiale, avec 1000 fois moins de moyens."
Il s'agit d'abord de faire émerger, fédérer et muscler une large communauté de personnes et de raccourcir le temps d'acquisition des retours du marché
Créons un nouveau cadre d'action
"Lorsque vous explorez un domaine réellement nouveau, la compétition est toxique. La collaboration doit être la règle" rappelle Stéphane. En conséquence, il faut :
- Faire sortir les experts ! Sebastian Thrun : « nous étions tous de nouveaux venus et l'innovation ne vient pas du cœur du domaine mais de l'extérieur ; les experts sont généralement les plus faibles performeurs, car totalement entravés par leur manière de penser »,
- Imposrz des contraintes, pas des limites : La seule règle du challenge était de mettre sur la piste des véhicules sans conducteur et de relier Los Angeles à Las Vegas. Aucune limite n'existait sur le type de véhicule ou les technologies,
- Les organisateurs étaient conscients aussi de la difficulté presque insurmontable de franchir les 200 kms de désert. Leur objectif n'était sans doute pas de réussir cette épreuve mais de toucher du doigt l'étendue des problèmes à prendre en compte par la suite. Bénéficier rapidement de nombreux Minimal Viable Products ou prétotypes plutôt que de modèles achevés,
- Encourager les applications commerciales : Dès le départ la DARPA a joué le rôle d'entremetteur entre universités, centres de recherche et entreprises. Il n'y a pas d'un côté la recherche fondamentale et de l'autre le business. Tout le monde partage les mêmes galères pour apprendre ensemble.
- Penser à long terme : Vouloir tester rapidement sur le terrain ne signifie pas ne pas avoir de vision à long terme. Avoir une vision à long terme ne signifie pas faire des plans à 5 ans que personne ne suivra. L'approche de la DARPA est un subtile mélange d'incitation et de laisser-faire, d'absence de limites techniques mais de contraintes de délais.
Dans le secteur de la logistique ou encore des mobilités, de nouveaux véhicules intermédiaires se développent déjà et conduisent à ajuster les flux logistiques. Certains apparaissent déjà avec des caractéristiques essentielles : modulables, découpables avec des remorques, configurables, adaptables aux besoins locaux. Cette plasticité des véhicules nous semble réellement inédite, il faut même l'amplifier.
L'ADEME a donc décidé de lancer l'eXtrême Défi sur 3 années.
Pensons l'objet roulant au délà de l'objet roulant
L'eXtrême Défi est construit pour rassembler une large communauté, pour qu'elle se révèle à elle-même et se développe. En travaillant collectivement et en sortant d'une logique pure de compétition, il s'agit de créer une taille critique, de mutualiser des composants, des parties, des sous-ensembles, mais aussi de nouveaux métiers, outils et formations. Nous nous organisons pour faire d'une multitude niche un marché solvable.
Les équipes candidates seront placées sous des contraintes précises pour intégrer dès la conception des boucles de matière et de composants en fin de vie, pour intégrer plusieurs vies des véhicules et des composants, pour penser au mieux les cycles de montage, démontage et de reconditionnement. Ces contraintes visent à créer de nouvelles industries locales, complexes (complexus, ce qui est tissé ensemble), in-délocalisable, capables de monter, produire, démonter, réparer, faire évoluer les véhicules au plus près des besoins et des territoires.
Notre défi est alors de nous appuyer sur une bibliothèque mondiale de composants standardisés, associée à un minimum de pièces spécifiques et des moyens industriels territorialisés pour produire, maintenir et gérer de nouveaux véhicules à très haute efficacité énergétique et durée de vie infinie. La part de valeur va donc passer des composants, devenus des commodités, à la gestion de flux complexes majoritairement territorialisés en Europe adossés à de nouveaux métiers, de nouveaux modèles économiques et de nouvelles offres.