MétaNote 17 - La révolution numérique et la fin de l'automobile
La structure de la révolution numérique
Commençons par la conclusion; pour Stéphane Vial, toute révolution technique est avant tout une révolution ontophanique, c’est à dire un ébranlement des structures de la perception et du processus par lequel l’être nous apparaît. Onze caractéristiques propres à la “matière calculée” sont ainsi proposées. Elles vont conditionner nos manières d’être au monde. Il nous faut maintenant penser le “nouveau” à travers ces onze caractéristiques pour concevoir, pour designer, non plus des objets ou des services, mais des expériences visant à “faire être” autant qu’à “faire faire” à travers les techniques numériques.
La matrice ontophanique et le natif du numérique
"La technique se présente bien comme une matrice ontophanique, c'est à dire un moule phénoménologique, produit par la culture et l'histoire, dans lequel se coule notre expérience du monde possible". Ainsi à chaque système technique correspond une matrice ontophanique du réel. Le numérique constitue le 3ème système technique après la bielle-manivelle de la Renaissance, puis la machine à vapeur. Le téléphone, cité en exemple, comme un "moyen de se parler sans se voir", sans vraiment savoir ce que l'on allait en faire, décrit la nouvelle "modalité ontophanique" qu'il induit avec autrui. Aujourd'hui, la "nouvelle" ontophanie téléphonique a balayé la précédente. "Chaque génération ré-apprend le monde et re-négocie son rapport à ce qui est réel à l'aide des dispositifs techniques dont elle dispose". Et Stéphane Vial d'indiquer : "Etre natif du numérique, c'est proprement être né par le numérique", à travers cette matrice ontophanique d'une puissance inédite, les générations plus anciennes étant issues de matrices datées qui co-existent et se superposent à la nouvelle.
Le phénomène numérique est un noumène
La première caractéristique de l'ontophanie numérique s'observe par l'absence de phénomène visible sans appareil numérique. Le phénomène numérique, dans la matière calculée est l'emblême, est un noumène, c'est à dire qu'il n'est pas visible, qu'il ne se manifeste pas sans interface. La matière calculée, dont les traces numériques pour les transports ou la logistique, circule à toutes les échelles et devient le réel en perfusant les flux d'objets physiques. "Parce qu'elle est d'essence mathématique, c'est à dire imperceptible, la matière calculée est d'abord nouménale".
Le phénomène numérique est idéalité (programmable), interactivité (interaction), virtualité (simulation), versatilité (instable), virtualité (simulation), réticularité (autrui-phanique), destructibilité (néantisé), fluidité (thaumaturgique), ludogénéité (jouable).
Noumène numérique d'abord réservé aux mathématiciens, la matière calculée se programme et apparaît réactive à travers des interfaces. Elle devient interactive avec l'utilisateur. La profondeur de cette interactivité augmentant de plus en plus, l'utilisateur devient de plus en plus acteur et concepteur, renforçant l'attractivité et donc l'interactivité. Le design y joue, encore une fois, un rôle central.
Notre assistant personnel de mobilité (APM) et de consommation est cette interface qui réagit, qui produit des réalités informatiquement simulées. Cette virtualité permet de donner une représentation visible réelle des phénomènes qui opérent invisiblement. Ces interfaces "rassemblées dans notre poche" permettent aux noumènes numériques de devenir réalité, de se manifester.
Le phénomène numérique bouleverse également le lien social et les relations avec autrui. Ceci est essentiel dans le domaine du transport : communauté d'intérêt autour des solutions de partage (covoiturage, autopartage, ...), des transports publics collectifs (bus, tram, vélo, ...), des outils d'informations partagées (coyote, Waze, ...). "Pour un individu, les liaisons sociales activables au sein d'un groupe dépendent toujours des appareils qui permettent de les actionner et, en les actionnant, de les phénoménaliser, d'une manière qui porte l'empreinte ontophanique de ces appareils. Autrement dit, [...] nous n'élaborons pas la même culture ontophanique de la relation à autrui, parce que les appareils qu'il est nécessaire de mobiliser pour établir une relation ne sont pas les mêmes. [...] Grâce aux interfaces numùériques mobiles, qui font du réseau une réalité ubiquitaire constante, autrui est potentiellement toujours là, dans ma poche, à portée de la main"'.
Comme elle est également à la fois instable (car toujours buggée), réversible (CRTL-Z) permettant de nouvelles formes de pédagogie, et néantisable (que l'on peut faire disparaître), l'ontophanie numérique va engendrer de nouvelles formes de confiance. Et en parallèle, la fluidité de l'ontophanie numérique semble sans limite. Le jeu vidéo incarne alors l'objet numérique total poussant les dispositifs numériques en stimuler notre attitude ludique. Une bonne interface doit être jouable.
L'ontophanie numérique se fabrique
Quelle sera la prochaine matrice ontophanique ?
"Les cultures ontophaniques se cumulent plutôt qu'elles ne se succèdent, si bien que nous pouvons passer de l'une à l'autre sans pour autant changer de monde". D'un coté, le numérique pénètre de plus en plus les objets "historiques", comme l'automobile, et de l'autre, le numérique bouleverse l'usage de ces objets en leur apportant tout ou partie des onzes caractéristiques décrites précédement. Ces deux tendances sont à l'oeuvre, elles sont pilotées par des cultures ontophaniques différentes. Elles vont se rejoindre.
Un livre de Stéphane Vial, l'être et l'écran, va sortir début septembre, issu de sa thèse. A lire ... en numérique.