Un parallélépipède rectangle « identique » depuis des décennies, encombrant nos autoroutes lors de nos voyages, telle est la perception générale du camion. Il est proposé ici de renverser la position, de se mettre à la place du constructeur, et de mettre en perspective les évolutions historiques de ce véhicule, puis de tracer sa trajectoire probable.

Avant tout, le chauffeur pense que vous n'avez rien à faire sur une autoroute, son véhicule, « l'autocar des marchandises », est conçu et optimisé pour transporter 25 tonnes de marchandises. La voiture, elle n'est pas efficace avec au mieux 5 litres/100 km pour 1 tonne à 90 km/h, le camion, lui, consomme moins d'un litre/100 km pour 1 tonne. Et si, finalement, la voiture n'avait donc pas sa place sur l'autoroute ?

Structurellement cet objet industriel aspire à lui toutes les innovations en matière d'efficacité énergétique, d'optimisation systémique et d'adaptation "retardée" à tous les contextes pour maximiser sa productivité. Géré par des professionnels, acheté par des professionnels, conduit par des professionnels, il va poursuivre les mêmes tendances historiques : excellence énergétique, hyperspécialisation aux besoins des utilisateurs, intégration dans un système logistique complexe. Puis il va franchir un cap majeur dans probablement moins de 10 ans : la transparence totale des émissions polluantes et émissions de GES. Ce sera le premier véhicule qui communiquera ses émissions en temps réel à ces clients, aux collectivités, et aux marchandises livrées elle-même. Même si les critères énergie/environnement ne sont qu'une partie des éléments guidant le choix d'un produit ou d'un service, ne pas les afficher ne sera pas accepté par les clients. Avec l'Internet des Objets (lire l'étude du Commissariat à la stratégie et la prospective, La dynamique d'Internet - Prospective 2030), le camion n'a pas fini d'être à l'avant garde des transports.

Avec 10 fois moins d'emploi que dans l'automobile, les industriels du véhicule lourd conçoivent et produisent des véhicules "identiques et tous différents" d'une grande complexité visant des marchés mondiaux dans des entreprises elles-aussi étendues sur tous les continents. Historiquement, toutes les techniques clés ont été produites pour le véhicule lourd : Diesel injection directe, turbocompresseur, common rail haute pression, boite vitesse robotisée, Selective Catalytic Reduction et demain combustion homogène. Toutes les technologies clés liées à l'efficacité énergétique viennent du camion. Et tous les gains énergétiques générés sont redonnés au client pour améliorer la productivité du véhicule, du système de transport, donc de l'entreprise. Tout simplement parce qu'en longue distance, le poste carburant représente environ 30% des coûts (source CCFA). Le véhicule lourd est ainsi le meilleur transformateur d'énergie fossile avec des rendements sur autoroute proche de 50%. Cette performance a de nombreuses conséquences: il domine les autres modes fonctionnant avec d'autres énergies, et comme effet collatéral, il n'est pas nécessaire - pour le moment - de bien "remplir" le véhicule. De nombreuses pistes de progrès existent encore, et le numérique va en ouvrir de nouvelles …

Le véhicule dans un système

En complément, poursuivant une de ces principales forces, le véhicule industriel se spécialisera pour devenir à l'extrême totalement « sur-mesure ».

Hyperspécialisation « low cost »

Trois éléments pourraient encore renforcer cette propriété du véhicule lourd : standardisation mondiale, spécialisation retardée pour chaque client et production locale, puis versatilité en fonction de l'environnement.

Une fois configuré et produit, le camion du futur aura également des propriétés d'adaptation à son environnement. Sa dynamique, ses émissions polluantes et sonores seront variables en fonction de son positionnement (urbain dense ou rural) avec des calibrations moteurs modulables. Certains véhicules seront polycarburants et certains seront mêmes capables de changer de chaînes de traction, de rajouter/retirer des accessoires en fonction de chaque mission, améliorant ainsi les seconde et troisième vies de ce véhicule dans d'autres continents. Cette versatilité permettra de s'adapter à des futurs énergétiques inconnus.

L'excellence énergétique

Les véhicules lourds sont déjà soumis à des normes environnementales parmi les plus sévères, très proches des usages réels. Compte tenu des marchés mondiaux, les moteurs sont conçus pour respecter à la fois les normes européennes, américaines et dans certains cas asiatiques.

La transparence deviendra un argument commercial majeur, le premier qui s'y engagera prendra une position inédite dans l'histoire des transports. En devenant transparent, la répartition des responsabilités va apparaître clairement : Qui du constructeur, de l'utilisateur, du gestionnaire, de la collectivité, a la plus grande responsabilité ? Comment peut-on faire ensemble pour améliorer les bilans basés sur des émissions réelles ? Quels sont les meilleurs investissements publics et privés à réaliser pour réduire les émissions réelles ?

Hyper-adapté à sa mission et transparent, le camion se robotisera également de plus en plus.

Vers le camion robotisé

Dans ce système, la conduite ne peut pas ne pas être « optimisé », au fur et à mesure les marges de manœuvre du chauffeur et les choix de trajets seront réduits, ses actions seront filtrées par des actionneurs électroniques qui délivrent les consignes aux machines. Progressivement, le chauffeur deviendra un superviseur d'un dispositif quasi-autonome. Les phases de conduite se réduiront. Des outils de pilotage et de gestion des véhicules seront déportés en dehors du véhicule, gérés soit par l'entreprise, soit par de nouveaux « optimiseurs ».

Puis des phases de conduite robotisée vont se mettre en place (le projet SARTRE). La mise en œuvre de convoi multi entreprises vous ouvrir de nouvelles questions juridiques et économiques : Quelles responsabilités ? Quelles assurances ? Quelles répartitions des gains énergétiques ? Le camion sera probablement le premier à rouler avec des phases autonomes.

Vers le mégacamion ?

Connecté, transparent, versatil, intégré dans des systèmes complexes multi-acteurs, à la fois capteur et fournisseur de connaissances, le camion pourrait encore grossir. Plus le véhicule est long et tracte des masses élevées, et plus il est efficace à la tonne transportée (ou en volume). Mais plus le mégacamion est efficace plus les marchandises sont potentiellement transportées par la route au lieu du rail.

Quelles acceptabilités sociales, économiques, environnementales pour ces mégacamions ? Avez-vous la possibilité de ne pas faire rouler des véhicules plus efficaces ? Peut on « utiliser » ce gisement de gains et éviter les effets rebonds ? Comment établir de façon neutre et précise l'impact des mégacamions ? Quelques pistes sous forme de questions …

Et si les mégacamions étaient limités à des territoires sans aucun offre ferroviaire et/ou à des marchandises spécifiques ? Et si les mégacamions étaient les premiers, de façon obligatoire, à être transparents en matière d'émissions polluantes, d'émissions de GES et de remplissages (pour faire des bilans précis et comptables de leurs utilisations, des contenus carbones des marchandises transportées, et tirer des enseignements des premières expérimentations) ? Et si les mégacamions étaient géolocalisés et tracés pour mieux rendre compte de leurs usages (là encore pour établir des bilans environnementaux et économiques précis) ?

Le camion et le consommateur

Le nombre de camion sur nos routes n'est que le reflet de nos modes de consommation. Compte tenu de sa performance, son utilisation doit être obligatoirement raisonnée car plus il sera efficace, plus le risque est grand de l'utiliser encore plus…

Le consommateur a là un rôle majeur car notre façon de consommer appelle en conséquence plus ou moins de demande de transport, plus ou moins loin, avec plus ou moins de flux tendu. Devenu transparent, et rendant des comptes, le système de transport permettra au consommateur d'accéder à de nouvelles informations essentielles comme le contenu carbone des produits transportés.

Intégré et simplifié dans notre Assistant Personnel de Consommation, nous ne pourrons plus dire que l’on ne savait pas …